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MÉδÉE
Manuscrits et Éditions
des
Éléments d'Euclide

Typologie des choix

Bernard Vitrac & Alain Herreman

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Une typologie des textes des Éléments peut être définie à partir des choix dont l’établissement de ces textes procède à partir de leurs sources.

Cette typologie est indépendante de l’existence ou non d’un changement de langue et s’applique donc aux traductions et aux éditions bilingues. Elle peut être appliquée aux éléments textuels comme aux figures. Elle ne prend en compte que les choix ayant la portée la plus étendue. Les recours ponctuels à des sources sont pris en compte dans la typologie des dépendances.

Sources en série et en parallèle

Un texte des Éléments qui utilise plusieurs sources peut les utiliser en série ou en parallèle.

Sources en série

Dans l’usage en série les sources utilisées ne sont pas en concurrence, sauf à proximité des lieux exceptionnels où se font les changements. C’est presque toujours le cas des manuscrits grecs quand ils ont plusieurs sources. Qu’il s’agisse d’un accident matériel — la perte d’un feuillet, d’un cahier ou d’un Livre — ou d’une composition par une pluralité de copistes disposant chacun de leur exemplaire — la composition implique un changement de modèle. Il arrive même que la chose se produit par choix délibéré après avoir constaté une importante divergence textuelle (le paradigme est le cas de la Proposition IX.19 qui a induit la production de manuscrits mixtes, d’abord théonins, puis non théonins). Le modèle précédemment utilisé est dans ce cas abandonné. Il laisse la place à un autre. Il pourra éventuellement être ensuite repris.

Dans l’usage en parallèle les sources utilisées sont au contraire en concurrence permanente. Elles sont utilisées conjointement plutôt que successivement.

Dans l’usage en série, le texte peut être décomposé en un petit nombre de parties sur lesquelles il est établi à partir d’une seule source. Dans l’usage en parallèle, le texte est établi à partir de plusieurs sources considérées simultanément faisant constamment l’objet de choix.

Cette opposition ne se fonde pas sur l’usage réel qui a été fait des sources, celui-ci n’étant généralement pas connaissable, mais sur les changements de modèles identifiés dans le texte établi relativement à ses sources identifiées. De fait, l’imprimerie paraît avoir favorisé l’usage des sources en parallèle.

Cette typologie s’attache à donner une description simplifiée des choix dont procèdent ces changements.

Sources en parallèle

Les sources en série n’impliquent éventuellement un choix qu’au moment du changement de modèle. Ce sont des choix ponctuels et par définition peu nombreux dont l‘origine est généralement le modèle abandonné ou repris. Leur caractérisation peut dès lors être elle-même individuelle.

Dans le cas de sources en parallèle, les choix sont au contraire très nombreux, voire innombrables. Leur caractérisation individuelle est aussi possible, mais les choix sont trop nombreux pour fonder une typologie des textes. Leur nombre interdit cependant aussi qu’ils soient tous indépendants ; un petit nombre de principes communs doit nécessairement rendre compte d’un grand nombre d’entre eux. Les choix récurrents distingués peuvent être plus ou moins nombreux, propres au texte considéré, et servir à définir des typologies plus ou moins précises. Nous nous en tiendrons ici aux distinctions communes les plus étendues permettant de définir une typologie simple mais cependant discriminante.

On peut distinguer les cas où il existe une source principale et une ou plus plusieurs sources secondaires de ceux où les sources ne sont pas préalablement hiérarchisées. L’auteur suit a priori la source principale mais tient compte de ses sources secondaires. Ainsi, une source utilisée en série en complément d’une autre peut aussi être utilisée en parallèle comme source secondaire sur les segments communs. Par exemple, Grynée a utilisé en série le Marc. gr.Z 301 pour les Livres I-XIII et le Paris. gr.2343 pour les Livres XIV-XV que n’a pas le Marc. gr.Z 301, mais il utilise aussi le Paris. gr.2343 en source secondaire sur les Livres I-XIII communs aux deux manuscrits. Il doit dès lors choisir entre l’un ou l’autre là où ils diffèrent.

Henrion utilise les éditions de Clavius et de Dounot mais n’a pas de source principale.

Diverses modalités d’édition peuvent dans tous les cas être distinguées selon les caractéristiques du choix du texte établi à partir des sources considérées là où elles diffèrent.

On distingue quatre modalités non exclusives :

  1. positive

  2. éclectique

  3. différentielle

  4. libre

Édition positive

Une édition est établie de manière positive quand le choix du texte établi procède du modèle : c’est le fait que le modèle ait telle leçon qui rend compte du texte retenu. C’est le choix préalable du modèle qui détermine le choix du texte établi.

L’édition de Grynée est une édition positive de chacune de ses deux sources.

Édition éclectique

Une édition est éclectique quand le choix du texte établi procède de la comparaison de ses sources : le choix ne procède pas directement d’un des modèles, mais de leur comparaison. La leçon retenue est cependant aussi attestée dans l’un des modèles. Le choix est relatif aux sources mais ne procède pas du choix préalable d’un modèle. C’est un choix par préférence ponctuelle de l’un plutôt que l’autre. Il n’est pas intrinsèque, il est différentiel, mais le texte établi est attesté. C’est un choix différentiel positif.

Le choix d’un élément, existant dans une source absent mais dans une autre, en est un cas particulier important. On dit que l’édition est cumulative quand elle retient les éléments existants, qu’elle est réductive quand elle ne les retient pas, et simplement éclectique quand elle en retient certains sans que ces choix puissent être rapportés au type d’unité textuelle des éléments considérés.

L’édition de Grynée est aussi cumulative dans la mesure où elle reprend des éléments du Paris. gr.2343 dans les Livres I-XIII absents de sa source principale pour ces Livres, le Marc. gr.Z 301.

L’édition de Henrion est éclectique dans la mesure où elle reprend l’édition de Dounot ou traduit celle de Clavius, mais elle n’est pas pour autant cumulative ou (…).

Édition différentielle

Une édition est différentielle quand son texte est établi par transformation ou adaptation de ses sources. La différence pertinente qui détermine le texte établi n’est pas alors entre les sources, mais entre le texte établi et sa ou ses sources. Le texte établi se rapporte bien cependant à ses sources, mais sa justification n’est pas exclusivement dans ses sources mais aussi dans sa différence avec elles.

Une traduction est nécessairement différentielle. Il n’est pour cette raison pas utile de l’indiquer comme telle.

Une édition qui en corrige une autre est différentielle. Une édition qui supprime ou transforme certains aspects d’une autre est différentielle.

Édition libre

Une édition est libre quand son texte est établi indépendamment de ses sources : il ne s’y rapporte ni positivement, ni différentiellement.

Les démonstrations d’une édition dont la source n’a pas de démonstration sont nécessairement libres. L’édition de Clavius est libre sur les démonstrations.

Il n’est cependant pas toujours possible de déterminer si une édition est différentielle ou libre. Une édition qui reformule en les abrégeant les démonstrations de sa source est différentielle mais peut paraître libre.

L’édition de Hérigone est différentielle ou libre pour ses démonstrations selon que l’on en identifie ou non une source.

Une édition est cumulative si elle reprend d’une de ses sources des éléments absents d’une autre, mais elle est différentielle quand elle en ajoute qui ne sont dans aucune de ses sources. Les textes ajoutés sont nécessairement libres mais leur adjonction peut néanmoins être aussi différentielle dans la mesure où elle procède d’un manque manifeste dans ses sources. On retient dans ce cas plutôt qu’elles sont libres.